Devrait-on changer le système électoral au Québec? Depuis de nombreuses années déjà, des discussions concernant une refonte en profondeur des institutions démocratiques québécoises ont court. Le système électoral majoritaire uninominal à un tour en fait tout particulièrement partie. Cet enjeu et plusieurs autres ont fait les gorges chaudes de la quasi totalité des formations politiques québécoises. En effet, ils se sont tous, à un moment ou à un autre, engagés à réformer des composantes de nos institutions démocratiques à divers degrés de profondeur.
Cette recherche se propose de faire la lumière sur les différentes options avancées par les partis politiques québécois concernant une réforme démocratique du système électoral du Québec. Nous nous attarderons premièrement à l’état actuel des choses, c’est-à-dire au mode de scrutin qui est utilisé en ce moment au Québec ainsi que les tentatives de réformes dans d’autres provinces canadiennes. Notre attention se déplacera ensuite sur les idées défendues par les trois principales formations politiques québécoises soit le Parti québécois, le Parti libéral du Québec et la Coalition avenir Québec concernant des réformes éventuelles. Pour terminer, nous nous intéresserons aux propositions faites par des groupes politiques québécois plus marginaux comme Québec solidaire ou Option nationale.
SCRUTIN MAJORITAIRE UNINOMINAL À UN TOUR
Tout d’abord, le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour nous vient de la tradition britannique, où il est toujours en vigueur dans la vaste majorité des pays membres du Commonwealth et il est d’ailleurs le seul mode de scrutin qui a été utilisé au pays depuis la création de la fédération canadienne. Ce système est basé sur une représentation régionale des citoyens en séparant le territoire en différentes circonscriptions où s’affrontent les candidats. Un seul candidat par circonscription est élu, soit celui ayant récolté le plus grand nombre de votes valides.
Ensuite, le parti politique ayant fait élire le plus grand nombre de députés gagne l’élection et compose le gouvernement, celui arrivé au deuxième rang forme l’opposition officielle. Si un parti réussit à récolter plus de la moitié des sièges disponibles, il forme alors un gouvernement majoritaire où il a les coudées franches pour faire adopter toutes les mesures qu’il veut tout au long de son mandat. Dans le cas contraire, deux options s’offrent à lui. Il peut d’abord tenter de former un gouvernement de coalition en incluant des députés de formations politiques différentes de la sienne et leur allouer des postes importants au sein de son gouvernement ou bien il peut tenter de gouverner seul et former un gouvernement minoritaire en se ralliant l’appui ponctuel d’un des différents partis d’oppositions afin de se maintenir au pouvoir. Cette seconde option a été largement préférée par le passé, le Canada et ses provinces n’ayant pas de réelle tradition de gouvernement de coalition.
Les avantages du mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour
Le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour a comme principale qualité de former généralement des gouvernements forts et d’offrir ainsi une plus grande stabilité politique que d’autres systèmes électoraux en vigueur à travers le monde. Il permet aussi de prendre en compte les différentes régions du territoire en favorisant les enjeux locaux si un parti politique veut faire des gains dans certaines circonscriptions. Du plus, il permet de faire élire des candidats dit “indépendants”, chose impossible dans un mode de scrutin proportionnel.
Les désavantages du mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour
Toutefois, le résultat obtenu lors des élections ne reflète pas nécessairement la volonté des électeurs de manière exacte. Il y a en effet une large distorsion du vote qui résulte de la nature même du mode de scrutin. Par exemple, lors de l’élection québécoise de 1998 le premier ministre de l’époque, Lucian Bouchard, garda le pouvoir avec une majorité de députés même s’il avait obtenu un nombre de votes inférieur au niveau national que son plus proche rival, Jean Charest. L’équipe de Mario Dumont, pour sa part, n’eut même pas 1% des sièges alors qu’il avait reçu plus de 10% des appuis. Voici le genre de problème que peut poser le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour. Dans ce système, il est excessivement difficile pour un petit parti de se démarquer et d’obtenir un nombre de députés qui reflète ses appuis réels au sein de la population. Cette problématique a amené un certain nombre de provinces canadiennes à entamer une réflexion sur la possibilité de revoir le mode de scrutin en y incorporant des notions de proportionnalité.
Les réformes démocratiques en Colombie-Britannique
Il y a eu tout d’abord la Colombie-Britannique qui, en 2003, entama sa démarche sur une éventuelle réforme de ses institutions démocratiques. Cette province créa un comité spécial qui avait pour but d’examiner le mode de nomination des membres de l’Assemblée législative. Après délibération, le comité en venu à la conclusion que le meilleur mode de scrutin était celui à vote unique transférable. La proposition fut même l’objet d’un référendum lors de l’élection provinciale du 17 mai 2005 où elle recueillit 57% d’appui favorable. Cependant, le seuil de 60% n’étant pas atteint, la proposition ne fut donc pas adoptée. La même question refit surface lors de l’élection de 2009 et, cette fois-ci, elle ne récolta que 39% des appuis malgré les appuis de plusieurs politiciens et personnalités publiques.
Les réformes démocratiques en Ontario
Pour sa part, l’Ontario a aussi pensé en 2003 à certaines mesures à prendre pour améliorer la vie démocratique de la province. Les discussions tournaient entre autre sur une réforme du financement des partis politiques, la réforme du mode de scrutin, la mise en place d’élections à date fixe et à un ambitieux projet de vote par Internet. Les discussions ont abouti à l’idée d’instaurer des élections à date fixe où, constitution canadienne oblige, le Lieutenant-gouverneur garde son droit de dissoudre la chambre. Aussi, les règles encadrant les contributions aux partis politiques ont été renforcées. Maintenant, tous les dons de 100 dollars ou plus doivent être divulgué et accessible de telle sorte que le public soit en mesure de suivre les transactions pas Internet.
Ces règles s’appliquent aussi aux candidats à la course à la chefferie des partis politiques. De plus, une proposition de mode de scrutin proportionnel-mixte fut offerte à l’électorat ontarien, mais celle-ci fut déboutée lors d’un référendum qui se tenait en même temps que les élections provinciales de 2007. Les tenants de la réforme du mode de scrutin ne récoltèrent que 36,9% d’intention favorable alors qu’il en fallait au moins 60% pour que la réforme soit acceptée. Suite à cet échec, les propositions de réformes du mode de scrutin sont au point mort.
Les réformes démocratiques au Nouveau-Brunswick
De son côté, le Nouveau-Brunswick a lui aussi commencé une réflexion à propos d’une éventuelle réforme démocratique. Suite à un rapport sorti au début de 2005, les principaux changements proposés auraient été l’établissement de dates d’élections fixes et modifier le système électoral pour un système proportionnel-mixte. Le rapport faisait aussi mention de la volonté du gouvernement d’augmenter le taux de participation des jeunes lors des élections. Toutefois, le changement de gouvernement de 2006 a mis un frein à certains de ces changements. Le projet de réforme garda l’idée d’instaurer des élections à date fixe et proposa des mesures incitatives afin d’augmenter le nombre de femmes candidates. Dans cette optique, les dépenses électorales sont remboursées à la hauteur de 55% au lieu de 50 si une candidate a atteint un seuil minimal.
Les tentatives de réforme à l’Île-du-Prince-Édouard
Pour finir, l’Île-du-Prince-Édouard s’est aussi penchée en 2003 sur les mêmes propositions d’élections à date fixe et de réforme du mode de scrutin. À la suite d’une commission instaurée à la demande du premier ministre, l’ancien juge de la Cour suprême de la province, Norman H. Carruthers, en est venu à la conclusion que les deux modes de scrutin les plus intéressants étaient le proportionnel-mixte et le vote unique transférable. Il donna cependant sa préférence à la première option, car elle entrainerait des changements moins considérable pour les électeurs. Un référendum fut fait le 28 novembre 2005 pour demander aux électeurs d’entériner un changement de mode de scrutin. Encore une fois, la réponse de la population fut négative. Cette fois-ci, les habitants de l’Île-du-Prince-Édouard ont rejeté la proposition en donnant leurs appuis au statu quo à la hauteur de 63%.
Historique du mode de scrutin au Québec
Au Québec, le processus s’est enclenché environ en même temps que dans les autres provinces voulant réformer leurs institutions démocratiques, soit au début des années 2000. En effet, la commission Béland remit en mars 2003 son rapport à Jean-Pierre Charbonneau qui était ministre responsable de la réforme des institutions démocratiques à l’époque. La commission s’était penchée sur l’âge électoral, les élections à date fixe ainsi qu’au mode de scrutin. Malheureusement pour le ministre Charbonneau, des élections furent déclenchées quelques jours seulement après la remise du rapport et son parti perdit les élections pour faire place à Jean Charest et au Parti libéral du Québec.
Le nouveau gouvernement prit cependant le relais et en juin 2004 le ministre responsable qui le remplaça proposa un projet de réforme comptant plus de 140 points, dont celui de la réforme du mode de scrutin. Le choix du gouvernement s’était arrêté sur un mode de scrutin proportionnel-mixte qui prend en compte une répartition géographique des députés ainsi qu’une notion de proportionnalité. Un comité de citoyen voit aussi le jour afin de consulter la population sur la réforme. En 2006, après la consultation populaire, le comité ne donne pas suite au projet de loi et propose plutôt un mode de scrutin à deux votes comme celui de l’Allemagne.
En 2007, c’est au tour du Directeur général des élections du Québec de rendre publique son rapport qui remet l’idée d’un mode de scrutin proportionnel-mixte compensatoire sur la table. Ce dernier avançait l’idée d’une assemblée législative de 127 députés dont 77 seraient élus par un système majoritaire tel que nous le connaissons et 50 autres le seraient par un système proportionnel à l’aide de liste. Son rapport faisait aussi mention de différentes simulations qu’il fit selon plusieurs paramètres différents tels le seuil de représentation ou la méthode de calcul d’attribution des sièges ainsi que des l’alternance des candidatures féminines et masculines sur les listes. De plus, le Directeur général des élections du Québec, dans son rapport, se dit en faveur de l’instauration d’élections à date fixe en faisant valoir les avantages d’une telle réforme et en citant les différentes provinces qui ont déjà fait le saut.
La position du Parti libéral du Québec (PLQ)
En plus de la réflexion entamée sur la réforme démocratique que nous avons vu précédemment, le Parti libéral du Québec a aussi amené quelques mesures sur la table afin d’assainir le financement des partis politiques au Québec. Pour ce faire, il a abaissé le plafond annuel des dons aux partis en le faisant passer de 3000 à 1000 dollars. Pour combler le manque à gagner, il haussa la contribution de l’État en l’augmentant de 50 sous par vote d’électeur. L’État joue donc un rôle plus important qu’avant dans le financement des partis politiques. De plus, il fit transiger les dons de plus de 100$ par le Directeur général des élections du Québec et les sommes au dessous de ce seuil ne peuvent plus être donné en argent comptant.
La position du Parti québécois (PQ)
Depuis son élection en septembre dernier, le Parti québécois a continué dans la même veine en resserrant les conditions de financement des partis politiques. En effet, le seuil maximum de don annuel est passé de 1000 à 100$ à tous les partis et les dons de plus de 50$ doivent se faire par l’entremise du Directeur général des élections du Québec. De plus, les noms des donateurs sont maintenant affichés sur le site Internet de ce dernier. Le Parti québécois veut aussi mettre sur pied un bouquet de mesures qu’il estime nécessaires afin de rétablir la confiance des institutions québécoises. Pour se faire, il compte rendre le financement des partis politiques essentiellement public en augmentant davantage le montant octroyé pour chaque vote d’électeur, éliminer le crédit d’impôt pour les contributions aux partis politiques ainsi qu’instaurer des élections à date fixe.
Le Parti québécois, dans son programme, veut aussi évaluer la possibilité de limiter la période du mandat d’un premier ministre à dix ans ou deux mandats consécutifs ainsi que les mandats des maires de villes de plus de 5000 habitants en le limitant à douze ans ou trois mandats consécutifs. De son côté, le ministre responsable des Institutions démocratiques et de la Participation citoyenne, Bernard Drainville, propose d’élire le premier ministre au suffrage universel et de faire un référendum sur la réforme du mode de scrutin en plus de mettre sur pied un processus de référendums d’initiative populaire afin de “remettre le citoyen aux commandes”.
La position de la Coalition avenir Québec (CAQ)
La Coalition avenir Québec, dans sa plateforme électorale de 2012, proposait aussi de limiter à 100 dollars les contributions faites aux partis politiques mais allait encore plus loin en la limitant à un seul parti. La Coalition estime que de cette manière l’utilisation de prête-nom est quasiment impossible. Elle propose aussi que le Directeur général des élections du Québec donne trois dollars pour chaque dollars de don reçu. Pour finir, elle estime que le plafond des dépenses électorales ne devrait pas excéder quatre millions de dollars. Bien que la Coalition avenir Québec soit en faveur d’élections à date fixe tous les quatre ans, elle ne propose aucun changement au mode de scrutin actuel.
La position de Québec solidaire (QS)
Le parti Québec solidaire a quant à lui l’intention d’élargir l’exercice de la démocratie en instaurant une démocratie participative lorsqu’il prendra le pouvoir. Il appellera la population à débattre de tous les enjeux qu’ils soient au niveau du quartier ou de la région. En plus de cette mesure, Québec solidaire est lui aussi pour la mise en place d’élections à date fixe et propose de réviser la carte électorale afin de garantir une juste représentation du vote. La formation politique propose aussi de donner le droit de vote aux immigrants permanents ayant leur résidence principale au Québec depuis deux ans pour renforcer leurs intégrations.
Pour ce qui est de la réforme du mode de scrutin, le parti politique propose un mode de scrutin proportionnel-mixte où 60% des députés seraient élus selon le mode de scrutin actuel, c’est-à-dire le mode majoritaire uninominal à un tour et 40% selon le résultat proportionnel au niveau national pour les partis ayant récolté au moins 2% du vote. Les députés élus à la proportionnel seraient choisis à partir d’une liste fermée où l’alternance homme-femme serait obligatoire et cette liste devrait aussi prendre en compte la diversité culturelle québécoise. Les électeurs auraient donc deux votes, le premier servant à élire un député local et le second pour assurer une compensation à la proportionnel.
La position d’Option nationale (ON)
De son côté, le parti de Jean-Martin Aussant a aussi quelques mesures à proposer pour améliorer nos institutions démocratiques. Tout comme la grande majorité des formations politiques québécoises, Option nationale est en faveur de la mesure qui rendrait nos élections à date fixe et voit d’un bon oeil un certain changement de notre mode de scrutin uninominal à un tour. Cependant, la formation politique ne propose pas d’alternative claire au mode de scrutin actuel et se limite à dire qu’elle voudrait y inclure une composante de proportionnalité. De plus, Option nationale propose aussi de rendre le financement des partis politiques totalement public et d’encourager une démocratie participative par le biais d’une commission nationale qui devra proposer divers mécanismes à ces fins. Aussi, le parti propose d’abolir le poste de Lieutenant-gouverneur du Québec, chose qui ne pourrait se faire que dans un Québec souverain car la charge du Gouverneur générale et de ses Lieutenant-gouverneurs est protégés par l’article 41 de la Constitution canadienne. Pour ce faire, il faudrait le consentement unanime des dix provinces ainsi que de la Chambre des communes et du Sénat canadien en plus d’être proclamé par le Gouverneur général sous le grand sceau du Canada.
La position du Parti vert du Québec (PVQ)
Pour finir notre tour d’horizon des formations politiques québécoises, le Parti vert du Québec est aussi en faveur d’élections à date fixe. La formation écologique propose aussi de rendre accessible le programme des partis sur le site Internet du Directeur général des élections du Québec. De plus, les verts sont pour une réforme du mode de scrutin où ils mettent de l’avant un mode proportionnel-mixte afin de qu’un maximum de partis politiques soient représentés. Tout comme l’actuel ministre responsable des Institutions démocratiques et de la Participation citoyenne Bernard Drainville, le Parti vert du Québec est favorable de soumettre l’élection du premier ministre du Québec au suffrage universel direct. Toutefois, ce dernier propose aussi que le Lieutenant-gouverneur soit soumis au même processus.
Quelles conclusions tirer pour le débat démocratique?
Comme vous avez pu le constater, les idées pour améliorer nos institutions démocratiques et le système politique du Québec foisonnent ici comme partout ailleurs au Canada. Un débat riche et fécond a ainsi lieu au Québec afin de moderniser la vie démocratique et de redonner de la crédibilité aux instances politiques. Tous les partis politiques ont leurs opinions sur la marche à prendre pour y arriver. La seule chose qui semble faire l’unanimité parmi les différentes formations politiques est l’instauration d’élections à date fixe. Un projet de loi sur cette mesure est d’ailleurs présentement en chantier et un débat parlementaire sur la question devrait s’ouvrir sous peu.
D’autre part, la possibilité de réformer le mode de scrutin est plus incertaine. En effet, les différents partis politiques ont presque tous une opinion différente sur la question bien que le Directeur général des élections du Québec ait sorti un rapport à ce sujet en 2007. La situation de gouvernement minoritaire du Parti québécois n’aide pas non plus les choses à avancer. De plus, advenant un avancement rapide de ce dossier, la question serait sans doute soumise à la population par voie de référendum et vous avez été à même de constater qu’à chaque fois que la question fut soumis au peuple ailleurs au Canada, la population a décidé de rester avec un mode de scrutin qu’elle connaissait. C’est-à-dire le mode majoritaire uninominal à un tour.